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« Maniac » (The Maniac), de Benjamin Labatut, traduit de l’anglais (Chili) par David Fauquemberg, Grasset, « En lettres d’ancre », 448 p., 25 €, numérique 17 €.
De 1933 à 2019, on dirait trois textes en un. Deux nouvelles pour encadrer un gros roman, tous de styles et de rythmes différents, une multitude de narrateurs et trois prénoms pour (inter) titres. Paul (Ehrenfest), John (von Neumann) et Lee (Sedol) : autant de personnages historiques, à savoir un physicien autrichien, un mathématicien américain d’origine hongroise et un champion sud-coréen de go. On distingue en arrière-plan de Maniac, nouveau roman de l’auteur chilien Benjamin Labatut, une rupture dans l’histoire des sciences, une révolution technologique, du projet Manhattan à l’avènement de l’intelligence artificielle, qui semble faire tenir ensemble les trois parties du texte. Presque miraculeusement – avec même une grâce étrange pour un roman d’aspect et de construction semble-t-il aussi hétéroclites. A l’origine de ce labyrinthe de lecture, à en croire son auteur, il y a comme un « vide », « quelque chose d’incompréhensible au cœur du monde ». « Un trou » autour duquel le livre s’est écrit et fabriqué.
Du Chili, où il vit, Benjamin Labatut réfléchit et cherche à préciser, tout en terminant de déjeuner pendant qu’on l’interroge. « La forme que prennent mes histoires a toujours à voir avec ça… Imaginez que c’est comme chasser des fantômes… Ou mieux, comme essayer de harponner quelque chose d’invisible… Mais cela varie, en fait. Cela dépend. » De quoi ? « De ce que je trouve. Des informations disponibles. » En effet, et le lecteur français de son précédent livre, Lumières aveugles (Seuil, 2020), le sait pertinemment : l’auteur chilien, né en 1980 à Rotterdam, s’appuie sur une matière historique documentée qu’il met en scène, bien qu’il se défende de faire une littérature qu’on dirait « documentaire ». Car, là encore, il précise – et le mot peut surprendre : en fait, la réalité « contamine » le texte, « il y a une tonalité particulière de la narration qui vient du réel ».
Si divergents que soient leurs itinéraires et leurs époques, Paul, John et Lee, ses trois personnages, sont nés « ensemble » d’un patient travail de recherche mené des années durant et ayant engendré d’autres textes. « Les livres me viennent d’un seul tenant, comme un tout. D’un coup, le livre est là, je le vois. » Benjamin Labatut n’est pas comme « certains écrivains qui se contentent de s’asseoir » et de laisser « venir » le texte. C’est à la source du réel, des témoignages, de l’histoire relatée qu’il trouve ses intrigues. Et l’auteur de relier entre eux les différents arcs narratifs de Maniac : « Paul est une sorte de prophète qui, du fait de sa place dans le monde et de sa souffrance, a vu se lever ce qu’il a appelé une épidémie mathématique, une nouvelle façon de raisonner », dont John von Neumann, né Neumann Janos Lajos, à Budapest, sera le génie prodigieux et maudit. Acteur du projet Manhattan, il conçut après-guerre le premier véritable ordinateur moderne, surnommé « Maniac » – le patient zéro de cette « épidémie » qui aboutira à l’invention d’AlphaGo, une intelligence artificielle triomphant, en 2016, du meilleur joueur de go de son époque, Lee Sedol.
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